La Canatrice Chauve
Illustrated by Mathieu Larone
Dans La Cantatrice Chauve d’Ionesco, pièce inspirée des absurdités de la Méthode Assimil d’apprentissage de l’anglais, le langage est tortillé, détérioré, et dépourvu de sa dignité. Alors que M. Smith, Mme Smith, M. Martin, Mme Martin, la bonne Mary et le Pompier ne sont ni particuliers ni très vivants, le langage est, en quelque sorte, le seul vrai personnage. Cependant, dans cette pièce comiquement tragique, le langage s’effondre.
Six personnes se rencontrent lors d’une soirée et sont confrontées au vide : comment faire pour affronter le temps sans fin, parsemé d’évènements et d’interactions absurdes et répétitives? Comment oublier le fait que chacun est, au fond, éternellement seul et insignifiant? Ils remplissent le vide, le temps d’une pièce, avec des mots. La conversation, interrompue parfois par des moments de silence et par le son de la pendule, se tord dans un terrifiant cercle vicieux auto-destructif.
Les personnages raisonnent et se disputent selon des méthodes complètement inefficaces, des parodies de la déduction et de l’induction. Des inepties passent, parce qu’on semble comprendre ce que la personne veut dire. Mais que peut-on comprendre, de ces idées complètement incohérentes? Ainsi, Mme Smith affirme que «le yaourt est excellent pour l’estomac, les reins, l’appendicite et l’apothéose» (62-3), Mme Martin dit que «si on n‘écoutait pas, on ne vous entendrait pas» (752-3), puis Mme Smith désapprouve la pendule qui «marche mal. Elle a l’esprit de contradiction. Elle indique toujours le contraire de l’heure qu’il est» (900-1). Mais cette pendule, corps mécanique irrégulier et imprévisible, n’est certainement pas le seul élément de la pièce qui «marche mal». Aussi, après avoir récité chacun fables et poèmes, plus complexes les uns que les autres, aux sonorités de plus en plus mélodiques et au contenu de plus en plus chaotique, Mme Martin déclare, «nous avons passé un vrai quart d’heure cartésien» (998). Les six conversants se lancent ensuite dans une série de répliques sans suite :
«Celui qui vend aujourd’hui un bœuf, demain aura un œuf.—Il faut toujours penser à tout.—Quand je dis oui, c’est une façon de parler.—…—Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux!—Le maître d’école apprend à lire aux enfants, mais la chatte allaite ses petits quand ils sont petits.—Cependant que la vache nous donne ses queues» (1013-25).
La syntaxe se perd, les connecteurs logiques s’inversent, les tautologies donnent suite à des véritables non-sens logiques.
«Comme [les époux Bobby Watson] avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l’un de l’autre quand on les voyait ensemble» (118-20) : ce serait donc le nom qui détermine ce qu’est une chose? Pourtant, ces mots, utilisés pour trop de choses, perdent leur pouvoir de signifier—c’est le problème des époux Smith, incapables d’avoir une conversation («Tu veux parler de Bobby Watson, le commis voyageur?—Tous les Bobby Watson sont commis voyageur» (166-7)), du récit constamment interrompu d’une (anti-)fable («un enfant qui avait su faire son chemin dans la vie—Son chemin de fer?—Comme aux cartes—» (870-873)), ou encore, du Pompier qui annonce sa prochaine incendie, assurant que ce sera «un feu de paille et une petite brûlure d’estomac» (994-5).
Le dialogue aboutit dans un désaccord harmonieux. «C’est!—Pas!—Par!—Là!—C’est!—Par!—I!—Ci!» crie chaque personnage à tous les autres, chacun dépendant d’un langage sans but ni direction qui le lie aux autres dans son angoisse. La fin de la pièce est le recommencement du début, cette fois avec M. et Mme Martin à la place de M. et Mme Smith…
Bibliographie
Ionesco, Eugène. La Cantatrice chauve : Anti-pièce. Paris : Belin Gallimard, 2009. Print.
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